16 April 2018 | Dave Bookless | 0 commentaires

Devrions-nous sauver les espèces menacées ?

Dans un article récent en anglais du Washington Post, le professeur de biologie R. Alexander Pyron soutient que “La seule raison pour laquelle nous devrions préserver la biodiversité est pour nous-mêmes, pour garantir un futur stable aux êtres humains.” Il conteste les ressources qui sont consacrées à sauver des espèces de l’extinction et il accepte que jusqu’à 40% des espèces pourraient disparaître bientôt à cause des activités humaines. Il avance aussi le contre argument suivant:  “Aussi bien la planète que la race humaine peuvent probablement survivre ou même très bien vivre dans un monde peuplé de moins d’espèces.”

Togo Slippery Frog Conraua derooi, a Critically Endangered species from the Atewa Range in Ghana. © Photo by Dr Jeremy Lindsell, Director of Science and Conservation, A Rocha International.

Togo Slippery Frog Conraua derooi, une espèce très menacée qui vit dans la forêt  Atewa au Ghana. © Photo de Dr Jeremy Lindsell / A Rocha International.

Pyron n’est pas le seul. Ses vues font partie d’un spectre d’idées intitulées ‘La nouvelle conservation’ [1] et ‘L’écomodernisme’ [2] qui utilisent un langage apparemment scientifique et humaniste pour affirmer que: ‘puisque l’extinction est une partie inévitable du progrès de l’évolution, nous ne devrions pas nous faire de souci à ce propos et que le les humains peuvent refabriquer la nature pour créer un ‘bon anthropocène’ – un monde au service des besoins de tout le monde, sans souci d’intégrité biologique. Il y a bien des raisons pour lesquelles cette approche est profondément dans l’erreur et elles peuvent être divisées en deux catégories: d’une part des évidences scientifiques et économiques, d’autre part une confusion philosophique.

Pour ce qui est de l’aspect scientifique, il y a des preuves indéniables qu’une extinction rapide des espèces entraîne un effondrement de l’écosystème.  Michael Soulé a écrit que: ‘La meilleure recherche en cours donne des preuves solides qu’il y a une relation entre la diversité des espèces et la stabilité des écosystèmes.’[3] Si nous voulons des écosystèmes stables et productifs, il nous faut une diversité génétique et une diversité d’espèces.  Avancer le fait que des épisodes d’extinction ont eu lieu de tout temps est un argument dangereux et non pertinent. La vitesse évaluée d’extinction actuelle varie entre 100 et 10’000 fois plus rapide que la vitesse de base,[4,5] ce qui est déjà trop rapide pour permettre un remplacement par le moyen d’un développement évolutionnaire d’une espèce biologique, comme dans le cas d’un groupe d’individus isolés géographiquement du troupeau principal. Et ceci n’est pas naturel, mais dû à l’impact sans précédent d’une espèce sur toutes les autres .[6] Si nous tendons à négliger les dangers de l’extinction de masse, nous scions joyeusement  les branches de l’arbre de vie sur lesquelles nous sommes assis, alors que l’agriculture et la pêche s’effondrent, que les écosystèmes deviennent instables et se détruisent et alors que des chances de découvrir des médicaments encore inconnus sont perdues.

D’une même façon, ceux qui pensent que par l’introduction ou même la modification de quelques espèces animales ou végétales étrangères “qui pourraient aider” nous pouvons re-concevoir des écosystèmes, sont en train de jouer à “l’équivalent écologique de la roulette russe” selon l’expression mémorable de  E. O. Wilson. [7] – les risques sont énormes et les conséquences pourraient être fatales.

De même, l’assertion affirmant qu’une croissance économique rapide va élever les gens au-dessus des futilités de la vie et engendrer de l’amour envers tout reste de biodiversité  est à la fois absurde et contraire à toute évidence. Nous constatons que la consommation continue à augmenter sans répit, même dans des sociétés d’abondance et c’est le plus grand moteur de changement climatique, de perte d’habitat, et, finalement, de perte de biodiversité.[8,9]

Cependant, aux côtés des concepts scientifiques et économiques fallacieux de Pyron et d’autres, on retrouve des hypothèses philosophiques discutables.  ‘La nouvelle conservation’ [1] et ‘L’écomodernisme’ déclarent un anthropocentrisme extrême [10] dans la foulée de Francis Bacon (1561–1626), qui a écrit:  ‘mon seul voeux terrestre, à savoir d’élargir les limites déplorablement étroites de la domination de l’homme sur l’univers jusqu’à leurs limites promises.’[11]  Alors que Bacon croyait en Dieu, il le reléguait à un domaine spirituel d’un autre monde et ouvrait la porte à une chosification profane de la nature, en faisant d’elle un simple objet à la disposition de l’exploitation humaine.

Au cœur des théories de Bacon, Pyron et d’autres, se trouve la croyance que l’humanité  est primo la seule espèce qui compte, et secundo détient non seulement une capacité technologique créative, mais aussi la volonté morale de résoudre tous ses problèmes.  Ceci est une position basée sur une foi, qui ne prend racine ni dans la science, ni dans la logique. C’est le mythe néo-religieux du progrès humain, un mythe qui est profondément complice des désastres économiques et écologiques non-durables qui sont en train de submerger rapidement la planète.

Il y a là une profonde ironie, parce que le christianisme a souvent été accusé de promouvoir une vision du monde basée sur le rôle exceptionnel de l’être humain, [12] alors qu’aujourd’hui, c’est un techno-optimisme profane qui avance cette vision avec beaucoup de force,  tandis que beaucoup de chrétiens retrouvent enfin une compréhension biblique du rôle de l’être humain comme un rôle d’humilité et de service. L’encyclique pontificale ‘Laudato Si’  affirme que les espèces ‘ont de la valeur par elles-mêmes’ et ‘rendent gloire à Dieu par leur existence même, ,[13] et il continue en donnant des raisons bien claires en faveur de la conservation des espèces menacées: “Puisque toutes les créatures sont en relation les unes avec les  autres, chacune doit être chérie avec amour et respect car, en tant que créatures vivantes, nous sommes tous dépendant les uns des autres”. [14]

Le Pape François exprime à nouveau la reconnaissance biblique que Dieu ‘a compassion envers tout ce qu’il a fait’,[15] que les humains créés à l’image de Dieu devraient refléter le caractère généreux de Dieu envers les autres créatures. La joie créative de Dieu à l’égard de tout ce qu’il avait fait comme ‘très bon’, [16] et le commandement qu’il donna à Noé d’inclure des représentants de chaque espèce, pour la survie des différentes espèces sur toute la terre’ ’[17] démontre l’amour de Dieu pour la biodiversité. Face à l’anthropocentrisme idolâtre,  à la nouvelle conservation et à l’humanité qui fait taire la louange de créatures faites pour rendre gloire à Dieu, peut-être que l’engagement à conserver les espèces menacées devrait être considéré comme une preuve d’obéissance biblique.

Notes de bas de page :

[1] Soulé , M. E. (2013). The “New Conservation”. Conservation Biology 27(5): 895-897. Lien au article

[2] http://www.ecomodernism.org/

[3] Soulé, (2013). p. 896

[4] Center for Biological Diversity, The extinction crisis.

[5] Smith, F. D. M., et al. (1993). “How much do we know about the current extinction rate?” Trends in Ecology and Evolution 8(10): 375-378.

[6] Barnosky, A. D., et al. (2011). “Has the Earth’s sixth mass extinction already arrived?” Nature (471): 51-57. Link to review

[7] Wilson, E. O. (2016). Half-Earth: Our planet’s fight for life. New York, London: Liveright. p. 36

[8] Worldwatch Institute: The State of Consumption Today.

[9] WWF: What are the major reasons why we are losing so much biodiversity?

[10] L’opinion selon laquelle les humains devraient utiliser le monde uniquement pour servir leurs propres intérêts.

[11] Bacon, F. (1966). The Masculine Birth of Time. The Philosophy of Francis Bacon. B. Farrington. Chicago, Chicago University Press.

[12] White Jr., L. (1967). “The Historical Roots of our Ecologic Crisis.” Science 155(3767): 1203-1207.

[13] Pape François (2015). Lettre encyclique Laudato Si’ du Saint-Père François sur la sauvegarde de la maison commune. Publiée par Libreria Editrice Vaticana. Lien vers le texte en ligne

[14] Pape François, ibid. para. 42.

[15] Psaume 145:9

[16] Genèse 1:31

[17] Genèse 7:3b

Traduction : Irène Kelliny-Gaulis

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Catégories: Questions Réflexions
Mots clés: conservation
Sur Dave Bookless

Dave Bookless : engagé à A Rocha depuis 1997, cofondateur (avec sa femme Anne) d’A Rocha Grande-Bretagne en 2001, il est actuellement Directeur pour la Théologie et les Eglises d’A Rocha International. Auteur et conférencier, il a une passion pour partager les enseignements de la Bible dans les cultures d’aujourd’hui. Il a participé à la rédaction de nombreux livres et a lui-même écrit «Planetwise – Dare to Care for God’s World» et «God Doesn’t do Waste». Il travaille à temps partiel à un doctorat de l’Université de Cambridge sur la théologie biblique et la sauvegarde de la biodiversité. Ayant grandi en Inde, il habite avec sa femme et ses 4 filles à Southall, une banlieue multiculturelle de Londres, où il partage le pastorat d’une église anglicane multiraciale et essaie avec sa famille de vivre de la manière la plus durable possible. Il est aussi ornithologue (bagueur certifié) et aime les oiseaux, les montagnes et les îles.

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