7 novembre 2016 | Peter Harris | 0 commentaires

Conserver la nature, une préoccupation pour l’évangile

Un rapport du Congrès Mondial de la Nature, 1–10 septembre 2016. Publié pour la première fois en anglais dans Christianity Today le 8 septembre

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) organise un grand rassemblement tous les quatre ans. Cette année, la rencontre se tient à Honolulu, Hawaï, dans l’ombre du rapport 2014 (en anglais) du Fonds mondial pour la nature (WWF) affirmant que plus de la moitié des espèces sauvages ont disparu en l’espace de 40 ans à peine.

Jusqu’à récemment, le mouvement de conservation de la nature a été largement laïque. Mais l’impression ici est qu’il s’agit d’une crise morale et même spirituelle. Gus Speth, qui a participé à la fondation de l’ONG américaine Natural Resources Defense Council (Conseil de défense des ressources naturelles) et a été doyen de l’Ecole d’études environnementales et de sylviculture de l’Université de Yale, a déclaré à un présentateur d’une radio britannique en 2013 :

« Je pensais que les problèmes environnementaux étaient la perte de la biodiversité, la destruction des écosystèmes et le changement climatique. Je croyais qu’avec 30 ans de bonnes avancées scientifiques, ces problèmes pourraient être enrayés. Mais je me trompais. Les problèmes environnementaux prévalents sont l’égoïsme, la cupidité et l’indifférence, et pour les affronter nous avons besoin d’une transformation spirituelle et culturelle. Et nous, en tant que scientifiques, ne savons pas comment faire. »

En écho à ce nouvel axe de réflexion, un “Chemin de la spiritualité” est inclus cette année pour la première fois dans le programme du congrès. Il faut aussi souligner que le congrès se tient dans la région du Pacifique, où la vie spirituelle est moins séparée de la vie publique qu’en Europe. Lors de la cérémonie d’ouverture, dans une allocution bien différente des congrès précédents, “Notre Père céleste” a été remercié pour sa “création”. En effet, beaucoup de professionnels de la conservation de la nature et de scientifiques, principalement, mais pas exclusivement, de l’hémisphère sud, ont une foi chrétienne vivante. Cependant, inclure cette foi dans leur vie professionnelle peut se révéler un véritable défi. Ils travaillent avec des paradigmes et des termes, tels que “gestion des ressources naturelles” ou “services écosystémiques”, qui ont été définis avant que les chrétiens ne commencent à s’engager réellement. Considérez le contraste avec la médecine, par exemple, qui s’est développée mondialement au fil des siècles spécifiquement à partir de la compassion chrétienne.

Le picchion cramoisi (Himatione sanguinea – en hawaïen ʻapapane) est une magnifique espèce endémique d'Hawaï, aujourd’hui menacée de disparition.

Le picchion cramoisi (Himatione sanguinea – en hawaïen ʻapapane) est une magnifique espèce endémique d’Hawaï, aujourd’hui menacée de disparition.

Peut-être à cause de ce défaut d’enracinement (l’environnementalisme a parfois été décrit comme « une éthique à la recherche d’une religion »), mais aussi parce que les politiciens et les citoyens ordinaires semblent si souvent désengagés du danger clair et actuel qui pèse sur la biodiversité, le mouvement mondial de la conservation de la nature cherche urgemment à clarifier pourquoi la nature est importante.

Deux propositions prévalent actuellement : la première affirme que la nature est importante parce qu’elle est essentielle à notre survie en tant qu’espèce humaine, la deuxième défend la valeur intrinsèque de la nature. Toutes deux trouvent un écho dans l’évangile, mais aucune n’est suffisante en elle-même. (voir article en anglais, Smelling a Stradivarius). Les chrétiens pourraient souligner la tournure planétaire et même universelle du langage de Paul lorsqu’il parle de « réconcilier toutes choses » (Colossiens 1:20), ou l’image de la création tout entière gémissant en attendant que l’humanité soit libérée de l’esclavage du péché et de l’exploitation qui en résulte (Romains 8:19–24), ou encore le Psaume 104, l’un des premiers et des plus beaux hymnes à la biodiversité, dont l’auteur exprime sa  conviction que Dieu a fait toute chose par amour et sagesse.

Cependant, un engagement chrétien plus  profond dans le mouvement de conservation de la nature exposera à quelques vérités désagréables. A Rocha est la seule organisation de conservation chrétienne parmi les 9 000 délégations que compte le Congrès. S’il s’agissait d’un événement international comparable sur le développement humain ou l’aide humanitaire, plus de la moitié des organisations présentes attesteraient une identité ou une origine chrétienne.

Ainsi, nos collègues et amis du domaine de la conservation de la nature ont l’impression que peu de chrétiens s’en préoccupent, même s’ils nous entendent dire que nous croyons que la terre appartient à Dieu et n’est pas simplement une source de ‘ressources naturelles’ pour le développement économique de l’homme.

Les défenseurs de l’environnement entendent au travers des médias des messages d’indifférence, voire pire, de la part des dirigeants chrétiens. L’évangile de la prospérité qui résonne dans tant de parties du monde, avec son enthousiasme irréfléchi et sa consommation effrénée, n’a aucun sens pour ceux qui ont un sens aigu des limites de la planète. Sans surprise, peu de chefs de file de la protection de l’environnement sont enclins à croire que la foi chrétienne transforme les vies.

Des liens peu familiers

il y a deux choses que nous pouvons faire pour changer cette image. Premièrement, nous pouvons aider ceux qui ont fait un travail remarquable à atteindre une audience plus large. Ce matin, alors que nous terminions notre réunion de prière quotidienne au Congrès, Osvaldo Munguia du Honduras m’a parlé du travail de son organisation, Mopawi. Mopawi s’engage en faveur du peuple Miskito qui vit dans la forêt tropicale de l’est du Honduras. C’est grâce à de grands sacrifices et portés par une prière constante, que Munguia and Mopawi ont pu sécuriser les droits territoriaux face à la pression intense du gouvernement et des intérêts de l’industrie agroalimentaire. Cela représente également un gain substantiel pour la préservation de l’environnement, plus de 1,4 millions d’hectares – une réussite unique en Amérique centrale.

Une partie de l’équipe d’A Rocha avec des amis, sur le stand.

Une partie de l’équipe d’A Rocha avec des amis, sur le stand.

Il y a beaucoup d’histoires de héros discrets comme celle-ci à raconter, mais les médias chrétiens font rarement le lien entre la mission de l’évangile et les questions environnementales, et leur prêtent peu d’attention. D’autre part, les médias laïques qui relatent les actions des militants écologiques sont désorientés par le programme plus vaste et plus holistique de nombreux groupes chrétiens. Ils n’ont jamais rencontré des gens, motivés par la foi, qui se préoccupent aussi bien des animaux que de la justice sociale, ou à la fois de la santé de l’environnement et de l’économie. L’encyclique du Pape François Laudato Sì a permis de présenter aux audiences aussi bien chrétiennes que laïques un discours différent et meilleur, mais beaucoup reste à faire.

Nous devons aussi repenser la façon dont l’argent des chrétiens est gagné et donné – et aider les chrétiens généreux à gagner leur argent d’une façon plus cohérente avec la manière dont ils le donnent.

Cela n’a aucun sens de s’enrichir en appauvrissant la création de Dieu et redistribuer ensuite une partie de ses bénéfices pour réparer les dommages humains et environnementaux. Par ailleurs, une bien plus grande partie des dons chrétiens devrait être allouée à la réparation de la dévastation écologique qui est responsable de tant de détresse. La cause de bien des souffrances humaines est indirectement liée aux lamentations de la création :  la perte de la biodiversité, la déforestation, le manque d’eau, la pollution, le changement climatique, et les nombreux autres facteurs bien connus à l’origine des crises de notre siècles.

Tous créatures de Dieu

Quelques jours avant le Congrès, le président Obama a annoncé la création de la plus grande réserve marine mondiale, le Monument national marin de Papahānaumokuākea au large des côtes de Hawaï. La réserve actuelle verra sa taille plus que quadrupler pour atteindre plus de 1,5 millions de km², à peu près la taille du Québec, ou plus du double de la superficie de la France.

Cependant, un autre président qui s’est exprimé lors du Congrès, Tommy Remengesau de Palau, tout en louant Obama de « s’inscrire dans l’histoire comme un leader des océans », a défié les Etats-Unis de suivre l’exemple de Palau en transformant 80 % de leur zone économique exclusive maritime en eaux protégées. Actuellement, seules 2 % des eaux de la planète ont le statut de sanctuaires marins. Palau prévoit de soumettre une motion visant à porter ce chiffre à 30 %. (Les nations du Pacifique, telles que Palau, ont beau être minuscules par leur population et leur superficie terrestre, elles contrôlent des régions de la surface de la terre quatre fois plus grandes que les Etats-Unis.) De nombreux scientifiques doutent que même ces buts ambitieux suffisent à contenir le rythme et l’ampleur du déclin actuel des espèces marines.

De même, l’Accord de Bonn conclu en 2011 vise à restaurer 1,5 millions d’hectares de forêt, une perspective formidable et qui paraît très impressionnante. Pourtant, en comparaison de l’estimation du Fonds pour l’environnement mondial de 2 milliards d’hectares de forêts dégradées à l’échelle mondiale, cet objectif semble bien faible au vu des besoin, d’autant plus que la surface dégradée a considérablement augmenté depuis les derniers recensements.

Tant qu’une méthode véritablement convaincante et cohérente de valoriser la nature n’aura pas capté l’attention des politiciens, des entrepreneurs, des agriculteurs et des pêcheurs, nous continuerons certainement à assister à cette tendance dévastatrice.

Bien sûr, les chrétiens ont précisément une telle vision à leur disposition et beaucoup de chrétiens à travers le monde sont profondément engagés dans la protection de la création. Mais nous n’en sommes encore qu’au début. Notre louange, notre travail et notre témoignage resteront incomplets sans que notre responsabilité de préserver la merveilleuse diversité des créatures, don de Dieu, ne devienne une seconde nature.

Vous pouvez retrouver la contribution de 15 minutes de Peter à la plénière multiconfessionnelle lors du Congrès pour la nature à la vidéo ci-dessous (en anglais).

Traduction: Valérie Coudrain

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Catégories: Réflexions
Sur Peter Harris

Peter et Miranda s’ont déplacé au Portugal en 1983 pour établir le premier centre d’études sur le terrain d’A Rocha. Ensemble avec leurs quatre enfants, ils vivaient au centre depuis douze ans jusqu’en 1995 lorsque le travail a été consacrée à un leadership national. Ils ont ensuite déménagé à établir le premier centre A Rocha France près d'Arles, et y ont vécu jusqu’en 2010, assurant la coordination et dirigeant le mouvement mondial en croissance rapide. Ils sont maintenant de retour au Royaume-Uni où ils soutient la famille A Rocha dans le monde entier tout en étant plus proche de sa famille, et non moins leurs petits-enfants. Leur histoire est racontée dans Under the Bright Wings [Sous les ailes lumineuses] (1993) et Kingfisher’s Fire [Le feu du martin-pêcheur] (2008).

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