18 décembre 2015 | Dave Bookless | 0 commentaires

Trois semaines l’été dernier

L’été dernier, une suite d’événements me fit vivre trois expériences totalement différentes au cours de trois semaines consécutives, qui m’amenèrent à profondément réfléchir sur les valeurs et la culture contemporaines. Je me trouvais la première semaine à un festival chrétien [1], une partie de la deuxième semaine avec ma famille à Disneyland Paris, et la troisième semaine dans la communauté de Taizé en France, où j’étais invité comme intervenant. Je me posai alors cette question : « Où se trouve la spiritualité dans ces rassemblements? » En d’autres termes, quels sont leurs “dieux”, leurs valeurs sous-jacentes tacites et leur conception de ce qui compte vraiment?

Comme vous pouvez vous y attendre, Disneyland Paris s’est révélé le plus ostensible et plein de bons sentiments. Les valeurs de Disney sont transparentes. La fantaisie, l’évasion, le rêve… vous pouvez être tout ce que vous souhaitez être… aussi longtemps que vos poches sont assez garnies. Le parc était plein de petits super-héros et de princesses, la plupart épuisés, beaucoup suralimentés, certains sans doute confrontés à la pauvreté et au handicap, mais qui pouvaient, au moins en imagination,  vivre leur rêve. C’est un monde hermétique, isolé par les barrières et les agents de sécurité de l’autre France, celle qui a fait les actualités cet été : les migrants et les réfugiés en quête de sécurité et d’asile en Europe. Disney est multiculturel, dans les files d’attente les hijabs et les turbans se mélangent aux minijupes et aux tatouages, mais c’est avant tout une culture mondiale et homogénéisée de nourriture hors de prix, de marketing incessant et de paillettes, venant nourrir le désir insatiable d’en avoir plus… plus de gadgets, plus de calories, plus de fantasmes… tout sauf la réalité. C’est un monde également très amusant si vous aimez faire le plein d’adrénaline… mais son fond spirituel est très troublant… Vous êtes ce que vous achetez, l’imaginaire est mieux que la réalité, les désirs doivent être constamment satisfaits. C’est ainsi que dans le laps de temps de ma vie, nous sommes passé de « se satisfaire du nécessaire » [2] à « vers l’infini et au-delà » [3] en surconsommant les ressources de la planète. Bien sûr, Disneyland est une cible facile. Le parc a d’ailleurs été parodié par celui de Banksy “Dismaland” qui en a exposé et discrédité les valeurs très efficacement, sans toutefois proposer d’alternative positive.

2015-10 Butter+Cream Jesus

Qu’en est-il des deux autres semaines, le festival chrétien et la communauté de Taizé ? Sans surprise, tous deux placent Dieu dans l’équation. J’ai ressenti au cours de ces deux rassemblements une réelle faim de Dieu, mais dans des atmosphères très contrastées. Lors du festival, le culte était plein de décibels, contemporain, anglo-saxon, et répétitif. A Taizé, il était calme, intemporel, multilingue et également répétitif. Bien que la plupart des participants au festival vivaient dans des tentes ou des caravanes, un confort relativement simple, on ressentait que la faim de Dieu côtoyait confortablement la faim de l’offre matérialiste. L’espace de vente était plein de camelote chrétienne, de t-shirts moulants arborant « Vous la voyez ma foi ? », de paquets de bonbons étiquetés « Jésus – le nom qui est bon » (chacun emballé d’un papier avec une citation de la Bible). Beaucoup de personnes se rendirent toute une demi-journée au centre commercial à proximité pour un petit shopping thérapeutique.

Taizé m’interpella plus profondément, sans doute en partie parce que c’était une nouvelle expérience pour moi, mais également en raison de son intransigeance face à la religion du matérialisme et du consumérisme. On y rencontre des membres d’une communauté ayant fait voeu de pauvreté et de célibat et qui pourtant attirent 100.000 jeunes de toute l’Europe chaque année, en raison de la profondeur de leurs convictions. Ils prient, font de la poterie, mais sont également véritablement engagés face aux souffrances dans le monde. Ils ont envoyé des équipes et de l’aide en Corée du Nord, ils sont depuis longtemps présents au Bangladesh, et, pendant mon séjour là-bas, ils accueillaient des jeunes de Syrie et d’Ukraine. Lorsque la popularité de Taizé conduisit à l’apparition de stands de nourriture hors de prix et de babioles religieuses, ils ouvrirent tout simplement une boutique basée sur le commerce équitable et gérée bénévolement en compensation. Lorsque des hommes d’affaires projetèrent la construction d’un hôtel de luxe pour ceux désirant un Taizé-light (la spiritualité sans la simplicité), les frères menacèrent de déplacer toute la communauté. Parmi les autres intervenants se trouvaient des ambassadeurs, des politiciens, des directeurs commerciaux, et des dignitaires religieux. Beaucoup avaient trouvé leur vocation lorsque, jeunes adultes, ils étaient venus à Taizé des décennies plus tôt, et étaient depuis restés ancrés dans ce qui compte véritablement dans cette visite annuelle de la communauté.

Aucun des endroits que j’ai visités cet été n’est parfait. Mais quant à savoir où Jésus se sentirait le plus chez lui, je suis plutôt indécis. Je pense qu’il aimerait le bonheur enfantin de Disneyland et la louange décomplexée du festival chrétien. Cependant, en relisant les évangiles, je trouve que Jésus parlait souvent des dangers de l’addiction à l’argent, à la richesse et aux possessions, un défi que Disneyland déconsidère totalement et que le festival chrétien ignore tranquillement. L’exhortation de Taizé est profondément à contre-courant de la culture actuelle, car elle reconnaît que nous ne pouvons pas simplement louer Dieu et les choses matérielles simultanément.

Nos cœurs sont trop petits pour contenir ensemble notre amour pour Dieu et notre amour pour les biens matériels.

Les biens matériels ne sont pas mauvais en soi – Dieu les a faits « très bien » – mais la clé réside dans ce que nous recherchons en premier : Le royaume des cieux ou nos propres conforts et désirs. Taizé motive les jeunes à passer des heures dans la prière et le silence, parce qu’en son cœur se trouvent les valeurs du royaume des cieux, telles que Jésus les a énumérées dans Matthieu 5 :

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux!
Heureux les affligés, car ils seront consolés!
Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre!
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés!
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde!
Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu!
Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu!
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux!

[1] Bien qu’il soit facile de trouver de quel festival chrétien il s’agit, je ne vais pas dévoiler son nom, car je ne souhaite pas que l’attention soit portée sur ce festival ou ce “courant” chrétien en particulier. Il aurait pu s’agir de bien d’autres…

[2] D’après le premier film Disney que j’ai vu, « Le Livre de la Jungle »

[3] « Toy Story » – Pixar / Disney

Traduction: Valérie Coudrain / Nadia Pazolis-Gabriel

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Catégories: Réflexions
Sur Dave Bookless

Dave Bookless : engagé à A Rocha depuis 1997, cofondateur (avec sa femme Anne) d’A Rocha Grande-Bretagne en 2001, il est actuellement Directeur pour la Théologie et les Eglises d’A Rocha International. Auteur et conférencier, il a une passion pour partager les enseignements de la Bible dans les cultures d’aujourd’hui. Il a participé à la rédaction de nombreux livres et a lui-même écrit «Planetwise – Dare to Care for God’s World» et «God Doesn’t do Waste». Il travaille à temps partiel à un doctorat de l’Université de Cambridge sur la théologie biblique et la sauvegarde de la biodiversité. Ayant grandi en Inde, il habite avec sa femme et ses 4 filles à Southall, une banlieue multiculturelle de Londres, où il partage le pastorat d’une église anglicane multiraciale et essaie avec sa famille de vivre de la manière la plus durable possible. Il est aussi ornithologue (bagueur certifié) et aime les oiseaux, les montagnes et les îles.

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