2 mai 2022 | Mark Nam | 0 commentaires

L’intendance ou le Yin-Yang? La théologie d’Extrême Orient et l’éthique biblique de l’environnement

Depuis mon ordination dans l’Église Anglicane, je suis devenu très conscient de la nécessité de proposer une approche théologiquement solide et uniquement chrétienne pour faire face à la crise climatique. Je suis donc préoccupé par l’importance accordée au concept “d’intendance” pour construire une éthique environnementale biblique.

Selon R.J. Berry, l’intendance est devenue « la position par défaut au sein des groupes chrétiens ordinaires ». Cela est certainement vrai pour une grande partie de la CofE (Eglise Anglicane). Le rapport de 2005 intitulé Sharing God’s Planet (Partager la planète de Dieu), déclare :

Le terme biblique pour désigner la relation des humains avec la création est « intendant ». Un intendant est un serviteur qui est en relation avec Dieu, au nom duquel il exerce sa domination.

Cela nous pose un problème. Comme le souligne David John Atkinson, le terme « intendance » n’est jamais utilisé dans la Bible en relation avec la création. Clare Palmer ajoute que même si nous devions être de bons intendants, il est nécessaire de comprendre ce qui est contrôlé. Mais étant donné la nature complexe des écosystèmes et des conditions atmosphériques, cela n’est tout simplement pas possible. Richard Bauckham va même jusqu’à affirmer que l’intendance est une tentative arrogante de faire ce que la création peut faire beaucoup mieux. Compte tenu de ces critiques sévères à l’égard de l’intendance, je me retrouve en accord avec Paulos Gregorios, lorsqu’il écrit :

Remplacer le concept de domination par le concept d’intendance ne nous mènera pas très loin, car même dans ce dernier se cache la possibilité de l’objectivation et de l’aliénation qui sont les causes profondes de la maladie de notre civilisation […] Nous réduirions encore la nature à « rien d’autre », c’est-à-dire rien d’autre qu’un objet remis entre nos mains pour être conservé et bien géré.

Malgré nos meilleures intentions, le terme d’intendance sépare l’homme du reste de la création. Il s’agit d’une forme de pensée dualiste qui perpétue l’objectivation de la création au profit de l’homme.

Vu mon origine chinoise, j’ai envie d’explorer ce que les perspectives asiatiques d’Extrême Orient peuvent apporter à la conversation. Le dérèglement climatique est un problème mondial et nécessite donc des solutions mondiales. Nous devons écouter d’autres voix, et je pense que la culture est-asiatique offre un langage alternatif et une approche théologique de la sauvegarde de la création plus solide que celle de l’intendance.

Le Yin-Yang comme catégorie possible de la pensée théologique

Dès les années 1980, Jun Young Lee a suggéré d’adopter le symbolisme yin-yang comme une catégorie alternative de pensée théologique. Le yin-yang représente une vision normative du monde pour de nombreux Asiatiques d’Extrême Orient et trouve ses origines dans le confucianisme. Lee souligne que la principale différence entre le confucianisme et les modes de pensée occidentaux réside dans le fait que le confucianisme n’exclut pas la « validité du milieu », contrairement à des approches telles que “l’intendance », qui reposent sur une pensée dualiste.

La pensée Yin-Yang permet de réconcilier des éléments opposés, ce qui crée un profond sentiment de parenté entre l’humanité et la nature. Cette reconfiguration des relations brise le clivage homme-nature inhérent à l’intendance. Comme le fait remarquer Ian C. Bradley, ce sentiment d’unité entre les humains et le reste de la création est un correctif important à l’idée que l’humanité a été mise au monde pour dominer – ou dans notre cas – gérer la nature.

Pour ce qui est de l’identification d’une herméneutique biblique appropriée – et pour rester dans l’imagerie Yin-Yang – je suis attiré par le type de relation symbiotique décrite dans Genèse 2:7 entre l’humanité et la création. Dans le Proche-Orient antique, la réussite d’un souverain se mesurait à la qualité de l’entretien des jardins royaux, qui étaient calqués sur le jardin d’Eden. Un bon souverain était un bon jardinier qui vivait en harmonie et ne faisait qu’un avec la terre.

Cette relation harmonieuse se rompit avec l’introduction du péché dans Genèse 3, où l’humanité est expulsée du jardin. La création perd son roi jardinier. J’insiste sur le motif du jardinier, car lorsque nous arrivons à l’Évangile de Jean – qui utilise le récit de la semaine de la création comme cadre – nous lisons qu’un autre « roi jardinier » est venu au monde et qu’il s’appelle Jésus-Christ.

Nous lisons dans Jean 20 que Marie-Madeleine rencontre Jésus le matin après qu’il soit ressuscité des morts. L’ancienne création, symbolisée par le tombeau vide, fait place à la nouvelle création, symbolisée par le jardin. Lorsque Marie voit Jésus pour la première fois, elle pense qu’il est  » le jardinier  » (v. 15). À première vue, ce détail est un faux-pas de Marie. Mais, en réalité, Jean illustre une profonde compréhension de la part de Marie. L’homme qui se tient devant elle est le Jardinier – le Roi Jardinier de la Nouvelle Création qui est revenu. Un jardinier qui représente le rapprochement d’éléments opposés – la divinité et l’humanité, la vie et la mort – un Roi Jardinier qui incarne les principes du Yin-Yang !

Cette nouvelle réalité a de profondes implications pour ceux d’entre nous qui se réclament du christianisme. En tant que citoyens du Royaume de Dieu, nous sommes nous aussi appelés à participer au processus continu de création et de rédemption. Le jardinier renaissant de Genèse 2 – Jésus – appelle ses sujets – l’humanité renouvelée de Genèse 1 – à embrasser notre identité de jardiniers royaux.

Je suis convaincu que le motif du jardinier/roi offre aux questions environnementales une approche théologique supérieure à celle adoptée par les partisans de l’intendance. D’un point de vue herméneutique, les thèmes horticoles sont utilisés tout au long de l’Écriture, et culminent avec le Christ ressuscité dans l’Évangile de Jean. Cette méta-narration est considérablement plus convaincante que tous les efforts visant à faire passer l’éthique de l’environnement sous la rubrique de l’intendance, qui, comme nous l’avons mentionné précédemment, n’est jamais utilisée en relation avec la création.

L’imagerie agricole présente un attrait et une application plus universels dans un monde globalisé, où il est important de développer un langage commun entre les cultures. En outre, le concept d’intendance ne peut être réellement compris que par ceux qui « ont », par opposition à ceux qui « n’ont pas ». Le privilège de l’intendance est principalement réservé à ceux qui ont du pouvoir. Faut-il s’étonner que le souci de l’environnement ait été décrit comme une préoccupation de la classe moyenne ? L’adoption d’un nouveau langage élimine ces barrières et peut contribuer à rassembler l’humanité, à être un avec les autres, un avec la création et un peuple sous Dieu.

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Catégories: Réflexions
Sur Mark Nam

Mark Nam est un pasteur anglican britannico-chinois du diocèse de Bristol. Il est le fondateur de The Teahouse, un groupe qui accroît la visibilité et la participation du clergé d'origine chinoise dans l'Église d'Angleterre. Mark est un collaborateur régulier de BBC Radio et a écrit pour Preach Magazine. Vous pouvez le retrouver sur Facebook, Twitter et Instagram sous le nom de @marknam.

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