Être un chrétien désespéré, est-ce un oxymore ? Quelques leçons d’Elie
Un chrétien désespéré est-ce là un oxymore ? J’ai beaucoup réfléchi à cette question ces derniers temps. Elle s’est présentée à moi – pas pour la première fois, mais certainement avec une urgence renouvelée – dans le sillage de la COP26 en novembre 2021.
J’avais passé une grande partie de l’année à faire campagne avec le Young Christian Climate Network autour des questions de justice climatique et de financement du climat et beaucoup d’entre nous ont été amèrement déçus par le résultat, estimant qu’il n’a pas apporté ce qui était nécessaire pour protéger la terre ou pour sauvegarder les vies et les moyens de subsistance de certaines des communautés les plus vulnérables du monde. Je sais que mes sentiments étaient partagés par beaucoup d’autres personnes engagées dans l’action climatique : après tous les efforts que nous avions déployés, il était facile de se demander si notre travail n’avait pas été vain.
Plus généralement, le désespoir semble être un compagnon trop familier de nos jours, alors que la guerre fait rage en Ukraine, que la pandémie de covid se poursuit et que nous voyons les effets de la crise écologique dévaster les communautés. Face à tout cela, qui ne se sentirait pas accablé ou désespéré ?
Je ressens cette pulsion de désespoir, mais – en particulier en tant que personne qui étudie actuellement l’espoir écologique – je me demande également s’il existe une autre possibilité. Qu’est-ce que cela signifie de bien vivre en des temps troublés? Existe-t-il un moyen de concilier espoir et désespoir ?
Je me souviens ici de l’histoire d’Élie, dont l’expérience de profond désespoir est relatée dans 1 Rois 19. Face à la défaite, Élie fuit Achab et Jézabel dans le désert, se couche sous un arbre et supplie Dieu de prendre sa vie. J’en ai assez », dit-il, « Prends ma vie, je ne suis pas meilleur que mes ancêtres ». Il est évident qu’il est accablé et épuisé. Il ne croit pas pouvoir continuer; il ne voit aucun moyen d’avancer. Mais – peut-être à la déception d’Élie – Dieu ne le laisse pas mourir. Au contraire, il lui envoie un ange, qui le nourrit et l’encourage, ce qui lui donne finalement la force de continuer. Même après cela, nous voyons Élie continuer à lutter contre l’énormité de la situation à laquelle il est confronté. Lorsque l’ange le quitte, il trouve la force de poursuivre son voyage pendant quarante jours et quarante nuits, pour finalement se reposer dans une grotte à Horeb, où il reçoit la visite de Dieu. Une fois de plus, Élie fait appel à Dieu, se plaignant d’être complètement seul, que ses collègues prophètes ont été tués et qu’il ne sait pas que faire. Et une fois encore, Dieu lui montre comment il peut continuer.
Peut-être que ceux d’entre nous qui désespèrent peuvent s’identifier à Elie. Lorsque nous sommes entourés d’une souffrance accablante, lorsque nous avons l’impression que rien de ce que nous pouvons faire ne peut faire une grande différence, nous avons parfois l’impression qu’il ne nous reste plus qu’à fuir.
Il n’y a pas de honte à être désespéré, et le chagrin n’est pas antichrétien. Pour beaucoup d’entre nous, le désespoir est le résultat de la rencontre avec la profondeur de la souffrance et de la lutte qui existent sur cette terre. L’autre facette du désespoir serait une ignorance joyeuse de la gravité de ce à quoi nous sommes confrontés. À mon avis, cette dernière position présente un danger beaucoup plus grand, notamment parce que l’ignorance n’est tout simplement pas un luxe que l’on peut se permettre de manière égale, elle n’est tout simplement pas possible pour les personnes que les croisements d’expériences, de lieux et d’identité rendent plus vulnérables.
Et pourtant, tout comme il y a un danger dans la béatitude de l’ignorance, il y a aussi un danger à s’attarder dans le désespoir, car il offre un moyen d’évitement. S’attarder trop longtemps dans la paralysie du désespoir face à l’état du monde, c’est éviter d’affronter véritablement les problèmes de ce monde, même si nous les rencontrons. Ce type d’évitement risque de se transformer en acceptation, dans laquelle nous déplorons l’état du monde, mais en même temps nous rejetons prématurément toute possibilité de changement significatif.
Il est remarquable, et à mon avis significatif, que Dieu ne traite pas le désespoir d’Élie en le châtiant ou en diminuant sa douleur, mais au contraire en l’encourageant et en l’aidant à voir que tout n’est pas perdu. Il est crucial de noter qu’Élie n’est pas seul dans tout cela. Au plus profond de son désespoir, il se sent complètement isolé, mais à la fin du chapitre 19, nous voyons Dieu lui promettre sept mille Israélites et appeler Élisée à son aide. Là où notre propre désespoir pourrait nous conduire à nous retirer non seulement du monde mais aussi les uns des autres, cette histoire nous rappelle qu’il faut rechercher la communauté, car nous pouvons faire beaucoup plus ensemble que séparément. Refuser la paralysie du désespoir, même au milieu de la souffrance, et se rassembler dans la solidarité, c’est s’ouvrir à nouveau à la possibilité d’un monde meilleur.
Certes, ce n’est pas facile. Nous devons prendre le temps d’apprendre comment nous pouvons nous soutenir et soutenir les autres. Nous pouvons nous accorder un espace pour le deuil et le repos afin de pouvoir continuer. Il y a beaucoup de travail à faire pour réfléchir concrètement au type de changements que nous voulons voir et à la manière dont nous pouvons les réaliser. Mais refuser d’abandonner et s’autoriser la possibilité d’espérer semble être un bon début.
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