11 avril 2016 | Dave Bookless | 0 commentaires

Vivre en marge

Ayant récemment passé la nuit dans un gîte rural, je décidai de me lever de bon matin pour une promenade. Le froid était mordant, le sol dur comme pierre et des kaléidoscopes de cristaux givrés ornaient les haies et les sillons, tandis que le soleil rouge se pointait au-dessus de l’horizon. Je vagabondais dans les sentiers le long des champs, marchant rapidement pour me réchauffer, à la recherche de signes de vie sauvage. Hormis quelques lièvres bruns Lepus europaeus et quelques freux Corvus frugilegus descendus de leur perchoir, les champs étaient vides. Toutefois, les haies et les bordures des champs étaient pleines de vie.  Les incitations financières de l’Union européenne pour une agriculture qui favorise la conservation des éspèces se traduisaient par de larges bordures de champs herbeuses où des volées de pinsons Fringilla coelebs, de chardonnerets Carduelis carduelis de linottes Carduelis cannabina et de bruants jaunes Emberiza citrinella s’affairaient en bandes bruyantes et colorées à la recherche de semences. Dans l’herbe hauteil y avait des empreintes à moitié effacées de mulots sylvestres Apodemus sylvaticus, de campagnols agrestes Microtus agrestis et de musaraignes Sorex spp., alors que des faucons crécerelles Falco tinnunculus planaient juste au-dessus, faisant usage de leur vision dans l’ultraviolet pour les repérer. Des lapins Oryctolagus cuniculus et des faisans Phasianus colchicus slalomaient au bas des haies pour m’éviter.

Bruant jaune (Emberiza citrinella), par Peter Harris

Bruant jaune Emberiza citrinella, par Peter Harris

La riche diversité des bordures de champs contrastait fortement avec la stérilité des champs eux-mêmes. Comme il semblait absurde que les économistes et les agronomes qualifient de « bonifiés » les déserts d’agriculture commerciale améliorés chimiquement et les abords des champs avec leur richesse naturelle de « non bonifiés ». Mais cette vie effervescente en marge des champs me fit réfléchir. Quelques jours auparavant, j’avais donné un coup de main dans un abri pour les nuits d’hiver, géré par notre église, destiné à des hommes Homo sapiens, migrants sans-abri, à Southall à Londres. C’était des gens vivant en marge, dans les marges non-bonifiées de la société, vivant de déchets et de restes. Nombre d’entre eux étaient aux prises avec des addictions et des problèmes psychologiques ainsi qu’avec la complexité d’une langue et d’une culture étrangères, sans compter la déception causée par leurs rêves brisés. Ils ne représentent qu’une fraction des millions de marginalisés dans notre monde déchiré, forcés de se déplacer par des conflits et le changement climatique. Je fus impressionné par leur dignité lorsqu’ils voulurent m’aider à plier leurs lits de camp et à ranger leurs couvertures avant de partir dans le froid.

Tandis que je réfléchissais à ces deux expériences sur la vie en marge, je me souviens de l’histoire biblique de Boaz et Ruth. Dieu aime ceux qui sont en marge – humains et non humains – et nous appelle à leur offrir l’hospitalité, en partageant avec eux la bonté que Lui-même nous témoigne par le biais de la création. Ce n’est pas le but de l’existence de maximiser, sans souci du coût écologique et humain, le rendement économique mais au contraire d’approfondir les relations et de reconnaître nos liens avec les marginaux.

En y réfléchissant, je me rendis compte que Dieu parle souvent des marginaux pour nous faire prendre conscience de notre stérilité. Jérémie, Ézéchiel et Jean le Baptiste comptent parmi les nombreux prophètes qui ont vu les choses plus clairement parce qu’ils étaient eux-mêmes des marginaux, imperméables aux effets polluants d’une société toxique. Dans notre monde globalisé et fondé sur les combustibles fossiles, adulant les faux dieux de la croissance économique effrénée et de la consommation démesurée, nous nous devons d’écouter les marginaux. Nous avons besoin d’entendre la voix des réfugiés, des poètes et des prophètes, et le cri des dernières alouettes Alauda arvensis et des tortues de mer Streptopelia turtur, ainsi que leurs avertissements de l’imminence d’une catastrophe et leur invitation à trouver une voie différente et meilleure.

Enfin, au moment où A Rocha Royaume-Uni lance la nouvelle initiative EcoChurch, je crois qu’un appel prophétique est adressé aux communautés chrétiennes à se tourner vers le monde en marge. Nous nous devons de mettre en œuvre une vision différente, d’incarner des valeurs alternatives loin des discours traditionnels. Nos églises peuvent modeler un mode de vie qui célèbre la vie en marge de la société, accueille l’étranger, se soucie de la biodiversité, témoignant de la richesse et de la joie que l’on trouve dans le partage et la simplicité. Puis-je donc vous encourager à vous joindre à moi pour tenter de percevoir, d’écouter et de tirer des enseignements du monde des marginaux ? Chemin faisant, il se peut que nous découvrions que Jésus a déjà fait la route bien avant nous.

Traduction : Carol Molter / Morag Eddyshaw

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Catégories: Réflexions
Sur Dave Bookless

Dave Bookless : engagé à A Rocha depuis 1997, cofondateur (avec sa femme Anne) d’A Rocha Grande-Bretagne en 2001, il est actuellement Directeur pour la Théologie et les Eglises d’A Rocha International. Auteur et conférencier, il a une passion pour partager les enseignements de la Bible dans les cultures d’aujourd’hui. Il a participé à la rédaction de nombreux livres et a lui-même écrit «Planetwise – Dare to Care for God’s World» et «God Doesn’t do Waste». Il travaille à temps partiel à un doctorat de l’Université de Cambridge sur la théologie biblique et la sauvegarde de la biodiversité. Ayant grandi en Inde, il habite avec sa femme et ses 4 filles à Southall, une banlieue multiculturelle de Londres, où il partage le pastorat d’une église anglicane multiraciale et essaie avec sa famille de vivre de la manière la plus durable possible. Il est aussi ornithologue (bagueur certifié) et aime les oiseaux, les montagnes et les îles.

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