6 octobre 2015 | Chris Naylor | 0 commentaires

Cartes postales du Moyen-Orient : 5. Conversations sur la conservation

2000, Jabal Rihane, Liban

Le marais d’Aammiq en hiver, en regardant vers le sud, le long de la chaîne du Mont-Liban

Le marais d’Aammiq en hiver, en regardant vers le sud, le long de la chaîne du Mont-Liban

Je me trouvais dans un bois avec Abouna, un prêtre melkite que j’avais rencontré à Beyrouth…

Abouna avait rassemblé tout un groupe de scientifiques afin de réaliser un inventaire du bois qu’il pourrait présenter aux autorités; un catalogue de richesses qui avaient survécu, contre toute attente, dans ce précieux fragment, artefact de la guerre. La plupart des arbres de la région avaient depuis longtemps été coupés et la menace actuelle pour l’habitat n’était plus les conflits, mais une explosion du développement : une explosion des constructions. Si l’expérience de Beyrouth venait à se répéter, les années d’après-guerre verraient disparaître la majeure partie des habitats naturels. Dans cette course folle à la croissance, les réglementations étaient souvent inadaptées, voire ignorées. Les zones naturelles, vouées à disparaître en raison de l’étalement urbain, étaient mal comprises et peu étudiées. Le béton étant le nouvel habitat, la faune et la flore allaient, littéralement, droit dans le mur.

Abouna admettait que la population qui revenait après l’occupation israélienne avait besoin de logements, d’écoles, de commerces et de routes. Mais il se rendait aussi compte que les générations passées leur avaient laissé un cadeau, un cadeau mis sous clé et qui s’avérait être rare et précieux maintenant. En étant prévoyantes et prudentes, les communautés pourraient faire fructifier et préserver leur patrimoine naturel. Le village pourrait garder son décor de chênes et de pistachiers, de sycomores et de myrte, tout en donnant un toit aux réfugiés de retour chez eux et une éducation à leurs enfants.

Cependant, amener une communauté à un point où elle est disposée à limiter son ambition, à freiner son développement, exige de longues conversations. Le suivi des populations d’oiseaux que nous organisions offrait un contexte pour la discussion, mais Abouna apprenait aussi beaucoup de l’engagement communautaire à Aammiq. Ce fut de plus en plus le cas. Oui, on nous demandait souvent (parfois même contre rémunération) d’étudier la faune et la flore de zones qui avaient besoin d’être préservées, d’aider à constituer des dossiers scientifiques pour leur protection. Mais plus encore, des groupes se déplaçaient jusqu’à Aammiq pour voir comment une communauté dialogue et décide de consciemment limiter son exploitation des terres, des ressources, de la faune et de la flore, et ce au bénéfice de tous et afin de transmettre un héritage aux générations futures.

L’une des choses formidables lorsque l’on participe à un dialogue communautaire, est de faire des rencontres et mobiliser ceux qui aideront à réunir les informations nécessaires aux prises de décision. A Rocha a contribué sur trois niveaux aux conversations à Aammiq :

Premièrement, nous avons recruté un flot d’experts en mesure d’étudier l’écosystème des zones humides et de répondre à des questions comme : « Quels animaux et plantes vivent ici ? De quoi ont-ils besoin pour se développer ? Comment fonctionne le marais? Qu’est-ce qui est le plus important pour le contrôle des crues, la rétention des eaux, etc. ? »

Ensuite, nous avons aidé la communauté à découvrir la somptuosité et la joie de la création, et cela dans deux endroits : dans la zone humide bien sûr, où les enfants se sont enthousiasmés à attraper des têtards, les adultes ont contemplé, admiratifs,  le plumage irisé d’un martin-pêcheur, et les agriculteurs ont appris comment le micro-climat des zones humides favorisait leurs cultures; mais également dans les églises, où, avec l’assemblée, nous avons exploré les passages de la bible appelant à préserver et prendre soin de la création.  L’un de mes versets préférés pour entamer une discussion est peut-être l’un des plus connus de la bible, « Dieu a tant aimé le [cosmos] qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3:16) La simple utilisation du mot grec « cosmos » plutôt que « monde » bouleverse certaines idées préconçues et incite les gens à écouter et discuter.

Enfin, nous avons travaillé avec les propriétaires fonciers et les communautés afin de mettre en œuvre le projet de protection et de restauration de l’habitat : combler des fossés, créer des bassins, construire des barrages, planter des arbres, et tout un tas d’autres choses qui composent un projet communautaire de protection de l’habitat.

C’est aussi une conversation à échelle mondiale. Les propriétaires terriens, les agriculteurs, les scientifiques, les villageois, les randonneurs, les artistes et les chasseurs d’Aammiq sont les acteurs d’un microcosme. Dans le monde entier, des communautés sont engagées dans la même conversation. Parce que ces questions ne peuvent pas être contenues à l’intérieur de frontières communales, locales, nationales ou même régionales, c’est un dialogue véritablement mondial.

Malheureusement, dans les dialogues mondiaux, contrairement aux dialogues à échelle locale, il y a souvent une coupure : ceux qui consomment le plus ne sont pas ceux qui sont les plus conscients des destructions. Ainsi, nous pouvons acquérir un mobilier en bois dur sans voir la perte des forêts indonésiennes, et les populations des Maldives pourraient voir leurs foyers inondés par la montée du niveau des mers sans avoir contribué à part égale aux émissions de dioxyde de carbone. Ce n’est pas comme ça à échelle locale.

Ceci est le cinquième de six extraits de Cartes postales du Moyen-Orient, par Chris Naylor. Edité par Lion Hudson en mars 2015. Il peut être commandé sur le site de Lion Hudson.

Traduction : Nadia Pazolis-Gabriel / Valérie Coudrain

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Catégories: Cartes postales
Sur Chris Naylor

Avant de rejoindre A Rocha, Chris s’est forgé une large expérience dans l’enseignement des sciences et la gestion d’écoles au Royaume-Uni et au Moyen-Orient, un parcours durant lequel il étudia également à l’Institut Biblique et apprit l’Arabe (en Jordanie). Il a rejoint l’association A Rocha en 1997 et occupé jusqu’en 2009 le poste de Directeur d’A Rocha Liban, dont il est le cofondateur. Il supervisa le programme de restauration de la zone humide d’Aammiq, le développement du projet d’éducation à l’environnement et le programme scientifique d’études de terrain qui a permis d’identifier 11 nouvelles zones d’importance pour la conservation des oiseaux. Depuis avril 2010, il occupe le poste de Directeur Exécutif d’A Rocha International et est basé à Oxfordshire. Son livre, Cartes postales du Moyen-Orient : Comment notre famille s’est prise d’amour pour le monde arabe, a été publié aux éditions Lion Hudson en mars 2015.

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